Laureline Mattiussi, lauréate du prix 2010 et membre du jury de l’association Artémisia signe le premier tome d’une trilogie, une orgie dans les bas-fonds de l’Antiquité.
La chronique de Lucie Servin sur www.bdsphere.fr
Laureline Mattiussi, l’aventure au féminin

Après son diptyque L’Ile au Poulailler, Laureline Mattiussi sort le premier tome de sa nouvelle trilogie intitulée La Lionne. Une épopée dans les bas-fonds d’une Rome décadente et licencieuse.
Mineur s’abstenir. Dans le paysage de la bande dessinée actuelle, Laureline Mattiussi détonne par son tempérament farouchement libertaire. Depuis son diptyque L’Île au Poulailler pour lequel elle avait reçu le prix Artemisia en 2010, la dessinatrice s’était lancée à l’abordage du récit d’aventure en mettant en scène une piratesse particulièrement cocasse. Malmenant le genre, inversant les rôles, ce récit audacieux renouvelait d’un seul coup les stéréotypes graphiques et littéraires en s’appropriant avec humour le mythe du flibustier revisité au féminin. Laureline travestit, transforme tout en gardant l’essence, la violence, le chacun pour soi et la liberté à tout prix. Aujourd’hui dans un autre registre, elle récidive, plongeant dans le stupre de la “cloaca maxima” (le grand égout collecteur de Rome) pour mettre en scène la débauche de la société romaine du siècle de Cicéron. Sur le scénario d’un jeune auteur, Sol Hess, cette nouvelle trilogie emprunte à l’Histoire, rappelant cette Rome décadente de la luxure, de l’orgie et de la prostitution. Les riches s’ennuient et se payent les esclaves sexuels au moment où la ville entière, la plèbe en première ligne, est menacée par la peste. Dans ces scènes volontairement choquantes, les cases se délectent d’une description crue de partouzes géantes et bestiales, abreuvées d’ivresse. Les graphismes atténuent la dureté du propos. A 33 ans, artiste accomplie, iconoclaste et irrévérencieuse, Laureline Mattiussi a su très rapidement imposer son style caractérisé par un trait expressif, directement identifiable, qui emprunte sa précision à la ligne claire en associant à la douceur des courbes des corps le grotesque des expressions des visages. Elle a trouvé en Isabelle Merlet une complice pour sublimer son travail par la couleur. La coloriste procède par aplats, dégageant par le jeu de contraste les profondeurs ou les textures des cases. Dans ce méli-mélo corporel abject et obscène, Léa, la Lionne, est une des courtisanes les plus prisées de Rome.
Son maître Egnatius l’a loue au plus offrant avec des contrats d’exclusivité. Après le poète Catulle, discrédité par sa poésie au milieu d’un bordel hypocrite, Publius a déjà signé pour un an. Dans un décor qui reprend autant au Satyricon de Pétrone vu par Fellini qu’à l’étude très sérieuse de Catherine Salles sur les bas-fonds de l’Antiquité (1), la Lionne aux yeux verts pourfend les préjugés avec humour, imposant son autorité féline parmi les louves – du nom qu’on donnait aux prostituées à Rome et qui est d’ailleurs à l’origine du mot lupanar. Courtisée par tous, voluptueuse et manipulatrice, cette lionne n’a rien d’une esclave soumise et rappelle l’héroïne pirate du précédent dytique. Pire, emprisonnée, elle parvient à s’enfuir lorsqu’on la croit mère. Car derrière le dessin et les bulles volontairement licencieuses, cette femme qu’on vénère n’a que deux rôles à jouer ; la mère ou la putain, à l’image du rôle que cette société réserve aux femmes. Une ironie crue, violente et décalée comme les crayons de cette dessinatrice aventurière et audacieuse.
(1) Les Bas-fonds de l’Antiquité, Catherine Salles, Fayot.
La Lionne, Tome 1, Sol Hess et Laureline Mattiussi, Treize Etrange, 48 pages, 15,50 euros.