Archives mensuelles : janvier 2009

Pendant que le FIBD bat son plein… un point sur le débat

Cela commence à se savoir, Artémisia est le nom d’un prix décerné depuis deux ans qui couronne un album de bande dessinée réalisé par une ou des femmes.

Derrière ce prix, il y a bien sûr le jury qui le décerne, tout aussi féminin : auteures de BD, chroniqueuses, éditrice, historienne d’art…

Mais avant tout, comme le signale l’en-tête de ce blog, Artémisia est une association qui œuvre pour la promotion de la bande dessinée féminine.

La Maison Close, l’exposition-concept (sic) de Ruppert et Mulot à Angoulême est, elle, une bien étrange façon de promouvoir cette création et au final, seuls Ruppert et Mulot en tirent vraiment les bénéfices : voir le dernier numéro de Télérama, qui encense ce nouveau duo tendance (un hasard ?) et passe sous silence le travail de l’ensemble des femmes dessinatrices, celles de la Maison Close comme les autres.

La position d’Artémisia face à cet événement angoumoisin s’est exprimée en plusieurs temps :

  • Un premier article nous permet d’expliquer le principe de la Maison Close et de publier les réactions de plusieurs membres de l’association : Catherine Beaunez, Chantal Montellier et Jeanne Puchol, très critiques.

http://associationartemisia.blogspot.com/2009/01/notre-case-ouverte-contre-leur-maison.html

  • Dans un deuxième temps, afin d’encourager le débat, nous publions, sans commentaire, les témoignages de quelques-unes des participantes : Mandel (une de nos deux lauréates 2009), Picault, Nadja, Bruller, Durbiano, Dallerive, Tanxxx et d’un participant : Boulet

http://associationartemisia.blogspot.com/2009/01/la-case-est-vraiment-ouverte.html

  • Enfin, nous confrontons la lecture pseudo-psychanalytique de Johanna, lauréate 2008 et membre d’Artémisia, et le témoignage de Cestac, pensionnaire muette et « liquidée » de la Maison Close

http://associationartemisia.blogspot.com/2009/01/la-maison-forclose.html

 

Artémisia espère qu’une prochaine année, une expo-concept mettra enfin les œuvres féminines en évidence, celles qui sont joyeuses, légères et divertissantes, comme celles qui nous forcent à penser… y compris à la condition féminine en général qui ne s’améliore guère en ce moment et connaît même quelques régressions.

La lauréate du prix Artémisia 2008 réagit

LA MAISON FORCLOSE : Ce titre lacanien pour vous dire que nous passons maintenant à la vitesse supérieure, grâce au texte « pseudo-psy » que Johanna, notre Mélanie Klein de secours, a bien voulu nous envoyer.

La réaction de Johanna

En préambule je voudrais dire que cette histoire de Maison Close m’a fait bien rire, que l’humour noir de Ruppert & Mulot ne me choque pas (à part dans leur album « Safari Monseigneur ») et que le dispositif de la Maison Close me semble vraiment intéressant d’un point de vue narratif. Le côté symbolique « digne d’une psychanalyse » est sans doute ce que je préfère dans le projet et je me garderais bien de jouer les mères la pudeur ! Car dans l’intimité onirique de nos nuits nous nous transformons tous en pervers polymorphes !

La BD indébandante

La nouvelle bande dessinée souffrirait-elle d’un complexe Soleil ?

Sur le thème : « le concept de la Maison Close de Ruppert & Mulot relèverait d’un fantasme petit-bourgeois », je vous propose d’aller y regarder de plus près et de passer en revue rapidement les symboles mis en scène qui en disent plus long que de longs râles.

Stéréo types

Nous voilà dans l’univers de Ruppert & Mulot : deux stéréo types, deux hauts parleurs, qui lapsucent à nos oreilles que derrière tout artiste se cache une prostituée n’hésitant pas à se mettre à nu pour séduire son public. Jetés dans l’arène par les deux pervers de papier, dessinatrices et dessinateurs se débattent entre eux au risque de glisser sur leurs peaux de vache de confrères/sœurs. Mais qui s’exhibe le plus dans ces lieux ? Les hommes ! Moins hésitants à exposer leurs complexes, difficultés sexuelles ou fantasmes, ils se dessinent en bites ambulantes ou en gros gras suants, comme Boulet se trouvant trop roux pour séduire, finissant sa joute par une heureuse expérience homosexuelle non préméditée…

Petits nénés, petites pépés

« Cachez ce gros sein que nous ne saurions voir ! » pourraient s’écrier les deux organisateurs, dont le pire cauchemar serait d’être confondus avec des auteurs Soleil ! Ces derniers sont d’ailleurs persona non grata en cette Maison Close. Les filles/auteures sélectionnées ont donc des petits seins « mignons » (c’est précisé), afin qu’on ne les confonde pas avec des héroïnes de fantasy aux gros seins jugés vulgaires. La vénus de Willendorf a donc mauvaise presse : trop vieille sans doute… Dommage ! Le sexuellement correct peut s’avérer un peu plat parfois.

Turgescences

La question de la taille des queues (point discriminant par excellence en matière virile, il paraît) est abordée de manière bien moins frontale. Cette question apparaît plutôt dans une verticalité monacale, puisque la bite turgescente se fait déguisement de moine et devient cache-sexe, cache-phantasme. Si les gros seins sont jugés vulgaires, quel serait donc le critère de vulgarité du physique masculin ? Afin de se sentir en verge, Killoffer-Rahan arbore un pelage ad hoc. La discrimination physique du mâle serait-elle alors dans le poil ? Les hommes qui ont du poil au nez seraient-ils moins vulgaires que ceux qui ont des poils sur les omoplates ? Quoi qu’il en soit, si ça bande, ça éjacule plus difficilement ! Si bien que la bouteille de champagne, maintes fois tripotée sur le canapé, refuse désespérément de laisser jaillir son jus. Si bien que Sury, qui s’était déjà mise en jambe, recours à un godemiché vanille-banane de sa propre invention pour prendre du plaisir.

Une maison de chair et de tripes

Mon premier est une bouche en forme de porte d’entrée, mon second est un bar en forme de gosier, mon troisième est un tunnel/musée de l’érotisme en forme de tripes, mon quatrième est une chambre/lieu du « dit », mon cinquième sont des toilettes/lieu du « non dit » et mon tout est une maison qui chie un Trondheim par son trou de balle de plaque d’égout.

 Fille commode ? Mon cul !

Restée en travers du gosier de la Maison, personne ne semble plus vouloir prêter attention à Nadja-Ourse qui poireaute au bar… Est-ce parce qu’elle a parlé de pudeur, de sentiments ou de douceur ? Il semble que de tels propos ne « passent pas » et seraient durs à digérer dans le temple décati du sexe ! D’ailleurs, elle met un temps fou à se frayer un chemin à travers les tripes/musée de l’érotisme, là où « ça » semble se passer vraiment, là où il semblerait qu’une tentative d’échappatoire en forme de putsch se soit dessinée dans le projet.

Ça cartonne

D’un Zep en carton, manipulé par un Frantico-Trondheim et rappelé à l’ordre par sa compagne Bruller, à une Cestac découpée en lamelles, la nouvelle bande dessinée règle son Œdipe avec les Grands Prix du Festival d’Angoulême. Berberian, l’autre fringant président de l’édition 2009, aimerait bien éviter le lynchage en se faisant passer pour une jeune auteure. A-t-il appris que le prix Artémisia était doté de 3000 euros ? Être une femme dans la BD, c’est le dernier truc à la mode ! Trondheim évite de justesse la mise au placard en se mettant de lui-même à la porte… Son rôle de chien de garde serait-il l’exact opposé de celui des chiennes de garde féministes ? Je ne le crois pas. Je pense plutôt qu’il est la mère maquerelle des lieux : c’est le seul qui s’en met plein les poches.

Johanna

Un bonheur n’arrivant jamais seul, Florence Cestac a bien voulu répondre à l’angoissante question émise par Catherine Beaunez : « Me manque beaucoup le ressenti de Cestac, dont le personnage est présent et ne participe pas. Elle est rangée dans un coin, dépossédée de ses atouts, et, si j’ai bien compris, éxécutée. Du moins c’est le traitement inconscient qu’un autre personnage imagine pour elle. Quel charmant traitement (pratique classique, dans ces lieux sordides ?), quelle symbolique (l’auteur-BD à succès, à mettre au placard ou à liquider) ! »

Voici donc le témoignage de Florence Cestac :

C’est l’auteur à succès (je me marre !).

Je te raconte comment ça c’est passé.

Charles Berberian m’a mise en contact avec Ruppert et Mulot et je pensais qu’il fallait faire juste deux dessins ; et l’idée de la maison close, j’ai trouvé ça bizarre mais je me suis dit : « allons-y en maîtresse à la cravache pour régler son compte au premier qui dérape ». N’étant pas douée pour la technique (scanner et envoyer) et n’ayant vraiment pas le temps de m’y coller, j’ai appelé Florent Ruppert pour lui dire que je laissais tomber. Il m’a proposé qu’une autre prenne ma place et pour cela de faire deux dessins : moi qui dors sur le fauteuil et la suivante qui me porte pour me cacher et prendre ma place. Voilà, après je n’ai plus suivi et j’ai découvert le tout une fois fini. Sur la version de l’auteur à succès à mettre au placard ou à liquider : je n’y avais pas pensé.

Tu connais ma position sur Artémisia, et mon aversion pour la censure. Donc ici chaque auteur s’est exprimé comme il en avait envie et libre à chacun de se faire son opinion . Pour ma part je préfère plutôt régler ça a l’humour-cravache plutôt que la pétition [il n’a jamais été question de pétition, ndlc].

Au début je ne comprenais pas ce que ça allait faire (ni comment il fallait faire) mais je reconnais que sur la performance et la qualité des dessins c’est très réussi.

Florence Cestac

En guise de post-scriptum, nous vous renvoyons à ce témoignage d’une authentique prostituée, sur le blog de La Charente Libre : cette femme, vivant à Saintes, vient de publier un plaidoyer pour la réouverture des maisons closes. C’est peut-être là que Ruppert & Mulot ont ramassé leur fumeux « concept »… Merci à L’Hippocampe Associé de nous l’avoir signalé !

Notre case est grande ouverte, d’autres réactions

La preuve, avec l’aide active de Lisa Mandel, nous donnons aussi la parole aux « pensionnaires » de la maison close, en commençant, c’est la moindre des choses, par celle de nos deux lauréates 2009 qui était de l’aventure – (cf : Tanxxx n’a pas participé à « la Maison Close » mais a commenté le précédent post (voir tous les commentaires)

Le commentaire de Tanxxx

TANXXX a dit… He bien, he bien… justement, moi j’y vais une façon plutôt marrante justement de détourner l’idée de « faire un truc des filles dans la bédé » (remplacez BD par sculpture, maçonnerie ou ce que vous voulez) pour aller directement dans l’excès de ce genre de cloisonnement. Tiens cloisonnement / maison close, déjà c’est marrant, non ?

A mon avis, vous avez lu et interprété à l’envers l’initiative de Ruppert et Mulot et c’est déjà mal connaitre leur travail, et s’insurger pour pas grand chose au final, ou tout au moins s’insurger contre quelque chose qui va dans le bon sens.
La maison close de Ruppert et Mulot n’a strictement rien à voir avec les danseuses topless de soleil, ou alors vous faites un sacré amalgame, voire même un beau contresens.

Voilà. Je ne crois pas les participantes de Maison Close assez stupides pour croire qu’elles vont y faire les putes. 23 janvier 2009 01:55

 

Lisa Mandel

Eeeeh oui, je savais que cette maison close créerait des polémiques, mais est-ce un mal ?

Je me suis moi-même pas mal pris la tête une fois à l’intérieur, mais une fois à l’intérieur seulement!

J’avais prévu de prendre le projet à contre-pied, ce qui m’amusait beaucoup, mais je me suis rendu compte qu’une fois qu’on est dans la maison, il est trop tard, quoi qu’on fasse, on a cautionné l’idée… Maintenant bien sûr je pense à tout ce que j’aurais pu faire d’autre mais j’avoue que le temps m’a manqué, étant en plein bouclage je me suis laissée porter! Ceci dit, ce n’est pas bien méchant, et promis, je ferai un bel album bien féministe pour me faire pardonner !

Par contre, je trouve qu’il y a eu beaucoup de belles choses de faites, notamment Killofer et Anouk Ricard, qui ont traité le sujet avec beaucoup d’humour, de légèreté, et surtout en assumant à 100% la dérision qui est quand même là pour faire relativiser, non?

Aude Picault

Il y a de quoi râler c’est sûr, d’ailleurs, nos personnages doutent toutes plus ou moins des raisons de leur présence dans cette maison close …

Mais on a fait confiance à tout le monde je crois. On a fait confiance aux garçons qu’on ne croit pas être machos … et on s’est toutes fait confiance pour éviter les écueils. Peut-être pas suffisamment ? Perso, j’ai eu envie de prendre les choses à la légère.

Je comprends que des nanas s’offusquent, il faut toujours être vigilantes sur certains points …

Nadja

C’est vrai que ça peut sembler bizarre que la seule idée pour mettre les filles dans un jeu bd interactif était de les voir comme des putes ; mais… c’est peut-être aussi aux garçons de se poser la question d’avoir accepté de jouer au jeu humiliant d’être des clients ; ou des proxénètes.

Le décor étant posé, le même pour tous, rien ne nous a jamais empêché d’y foutre le feu ; la situation ringarde, la visibilité égale, permettaient à chacun et chacune de réagir librement. Un peu comme dans la vie, non?

(Lire aussi son commentaire du précédent post)

Hélène Bruller

Moi j’ai tendance à répondre que je suis libre et que j’ai les mêmes droits que les autres (c’est ce qu’elles veulent, non?) et que, par conséquent, si j’ai envie de faire la pute pour m’amuser dans une maison close, je n’ai de comptes à rendre ni aux hommes, ni à personne d’autre.

On s’est pas débarrassées du joug des hommes pour tomber sous celui des féministes. Voilà!

Lucie Durbiano

Oui, pour ma part j’ai pris ça comme un jeu et j’ai vraiment le sentiment que garçons et filles jouions ensemble sur ce coup-là. Donc pas de sexisme, encore moins de misogynie. Nous ne faisions qu’en rire (enfin moi je me suis bien marrée en tout cas). Hélas, il y aura toujours des esprits chagrins pour s’en offusquer et c’est normal aussi, ça touche à des choses plus graves, des sujets sur lesquels certaines personnes ne peuvent avoir de recul (la prostitution ce n’est pas drôle du tout)… À nous de voir si nous sommes assez libres pour pouvoir en rire… Et franchement je ne vois que de l’humour là-dedans (la maison close) et ça fait du bien, aussi !!!!

Fanny Dallerive

Le dessin nous offrait toutes les possibilités.

Chacune était absolument libre de son personnage et de l’orientation des scènes, on aurait pu tout foutre en l’air, démonter le concept de Ruppert et Mulot.

D’ailleurs la plupart des dessinateurs et trices ont essayé de contourner le truc, et c’est bien ce qui faisait tout l’intérêt du concept.

Et moi non plus j’ai pas spécialement l’impression que les hommes ressortent plus glorieux de cette expérience !

Je me suis vraiment amusée, moi.

Enfin voilà je suis hyper d’accord avec Hélène et Nadja.

Nos reproduisons aussi le commentaire que Boulet a ajouté au précédent post, car il nous donne le point de vue d’un des hommes enfermés dans la Maison Close.

Boulet

Personnellement je n’étais pas du tout à l’aise avec le thème choisi par Ruppert et Mulot. C’est d’ailleurs aussi pour ça que j’ai accepté de participer…

Le thème n’était pas seulement difficile pour les filles, il l’était aussi pour nous qui étions d’emblée placés dans la position du salopard, du consommateur, bref, du client.

Je pense que chacun a eu à cœur de désamorcer ce thème, et chacun a endossé le rôle d’un personnage… Et chacun a eu aussi la volonté de ne pas être trop premier degré, c’est à dire dans l’acceptation ou le refus complet, mais en se représentant tour à tour comme victime et bourreau, en se mettant en danger par rapport à sa propre image et par rapport au thème.

Je pense que ce qui vous a choqué ne sont pas des propos d’auteurs mais des propos de PERSONNAGES, la nuance est capitale.

Bien sûr les propos de Frantico sont choquants : c’est un personnage par définition ignoble, obsédé, veule et ridicule, un petit chauve transpirant qui va dans la maison close sans lâcher son cabas à poireaux.

Bien sûr le personnage de Killoffer est immonde quand il attrape Anouk par les cheveux pour la « consommer »: ce n’est pas pour rien qui est représenté en homme des cavernes, violent et alcoolique, dont l’impunité ne tient qu’à la valise pleine de billets.

Bien sûr que les propos de Lewis sont moches : il tient le rôle du portier malveillant, qui méprise les filles, humilie les clients, et finit par s’enfuir lâchement.

Nous tenions le rôle malsain de clients-consommateurs, et nous nous sommes donc tout naturellement rendus odieux ou méprisables pour les besoins du rôle. Aucun d’entre nous, bien évidemment, ne cautionne aucunement les pratiques décrites.

Pour faire simple : si le thème avait été « la guerre et ses massacres » nous nous serions sans doute représentés en soldat malveillants et violents, ce n’est pas pour autant qu’on a envie de tuer des gens dans la vraie vie.

Enfin, au sein du groupe Artémisia, le débat continue ! Voici donc

la réaction d’Anne Bleuzen

Sérieusement, c’est pas la peine de s’exciter comme ça, ça prouve juste qu’en effet, il y a des sujets dont personne n’oserait rire (les camps) et d’autres dont certains veulent bien rire (les maisons closes) et ça veut certainement dire des choses sur l’imaginaire collectif et notamment une certaine « domination masculine » dans cet imaginaire-là. Mais personne n’a forcé les dessinatrices à s’y enfermer, dans cette maison close, et elles ont l’air de s’en sortir comme elles veulent ! Pour moi c’est une vaste blague de potache d’un goût certes douteux mais qui ne mérite pas tant d’excitation.

et le point de vue très pertinent de Sylvie Fontaine :

J’ai un instant espéré que cette histoire de maison close qui vire au bordel était une occasion pour les organisateurs de faire un parallèle entre le statut de l’éditeur et celui du maquereau et, de la même manière, entre le statut de l’auteur et celui de la prostituée. Les auteurs-dessinateurs de BD sont très nettement une sorte de sous-prolétariat des Beaux-Arts (penser à leurs tarifs, leurs heures de travail, la reconnaissance qu’ils en obtiennent, le nombre proprement hallucinant de dessinateurs syndiqués – une vraie puissance ! ça fait peur… – bref, toutes ces choses qui nous confèrent un statut proche du minable…).

Enfin, ça m’aurait intéressée que cette affaire soit prétexte à un peu plus qu’une pignolade-poilade. Tel que c’est là, ça n’a pas l’air d’aller bien loin ou je me trompe ?

Il y a beaucoup de choses à dire sur le fait que toute la chaîne du livre repose sur des travailleurs sous-payés (hé ouais, artiste c’est du boulot aussi !).

J’aimerais rajouter un truc, juste comme ça : le travail (de dessin, d’écriture, ainsi que tout autre parmi les milliers de métiers existants…) passe par le corps (main, cerveau et tout le reste). Et notre société n’a aucun respect pour le corps, le corps naturel, ni pour la « matière première » qui se trouve être le dessinateur-auteur (à mettre aussi au féminin) dans le milieu qui nous occupe, celui de la BD.

Bon, vaste sujet, ça fait des lustres que l’Occident divise corps et esprit, au déficit du corps bien évidemment…

 

Notre case ouverte contre leur maison close

Le Festival International de la BD d’Angoulême, qui démarre dans quelques jours, propose une exposition au titre évocateur : « La Maison close ».

Invités par Dupuy et Berberian, présidents de cette 36e édition, et libres de donner à leur intervention la forme de leur choix, Ruppert et Mulot ont opté pour un travail collectif intitulé « La Maison close ». Cette exposition-événement rassemblant une vingtaine d’auteurs reprend le principe du « championnat de bras de fer » que Ruppert et Mulot développent sur leur site Internet : des joutes graphiques où chaque auteur participant met en scène son propre personnage et ses propres dialogues, Ruppert et Mulot jouant à la fois le rôle de décorateurs et d’arbitres.

Se rendre à « La Maison close » (après quoi, il faut cliquer dans le dessin en tête d’article pour avoir accès aux dessins).

Cette initiative n’a évidemment pas laissé les membres d’Artémisia indifférentes, donnant même lieu à des échanges assez vifs entre nous. Nous pensons donc nécessaire de rendre publiques les positions de celles d’entre nous qui en ont exprimé, et invitons toutes celles et ceux qui le souhaitent à participer à ce débat !

La réaction de Catherine Beaunez

J’ai tout regardé (sur internet, on ne lit pas !). J’aurais dû commencer par l’introduction. Tout y est dit.

En résumé, au départ, les « organisateurs-auteurs » pensent à une expo de filles-auteurs de BD (…vraiment ?!). Au final, ils trouvent un truc plus bandant : ramener lesdites auteurs à leur qualité de putes (ou non) et donner à voir – au public et aux dessinateurs – comment elles se comportent finalement sexuellement. Mais aussi leurs clients, eux-mêmes dessinateurs et auteurs, parfois bizarrement paumés dans cette histoire. Nous voilà tous embarqués, dès le départ, dans les fantasmes de ces deux « organisateurs-voyeurs » qui ne s’impliquent eux-mêmes jamais dans le récit. Il y a surtout beaucoup d’ambiguïté sur le fait que parfois, ce sont les auteurs qui parlent -Trondheim à la sécurité (laquelle ?!) et Dupuy au vestiaire (!!) -, et parfois ce sont leurs personnages qui s’expriment. L’idée annoncée est une partie de bras de fer, une compète entre filles et garçons et au final, c’est le fantasme (hélas classique) d’hommes qui veulent faire rentrer les nanas (même et surtout des auteures censées réfléchir sur elles-mêmes) dans leurs fantasmes clos de maison à prostitution. Les lecteurs et visiteurs vont être très excités par cette ambiguïté : on va voir qui dans cette maison ? Les auteurs en personne, leurs personnages ou leurs porte-parole ? C’est marrant, cette idée pour moi fait écho à un climat fasciste – heureusement, à l’intérieur de ce lieu, des personnages résistent mais pourquoi se sont-ils laissés entrainer ? – avec des masques, de la lâcheté, du sado-masochisme, une façade irréprochable…Voilà ce qui me vient.

Maintenant, si on m’avait demandé d’y participer, comment j’aurais réagi ? Plus jeune, je me serais sans doute pliée au jeu. En le regrettant ensuite. Encore une fois, j’aurais quand même trouvé glauque l’idée que ce sont plutôt les dessinateurs-auteurs qui veulent en savoir plus sur les fantasmes de leurs consœurs. Et maintenant ? Soit j’aurais mis en scène une nana qui ne veut pas rentrer et qui gueule, soit elle serait rentrée et aurait exprimé, de l’intérieur, ses idées et contradictions. Mais le lieu en soi est déjà pourri – un peu comme Angoulême – alors…

LA RÉACTION DE CHANTAL MONTELLIER : Fesse-tival d’Angoulême et maison close.

« Angoulême ouvre sa maison close ! » nous informe t-on, rigolards, sur

Internet en parlant d’une expo vedette de bédé sur ce thème stimulant pour l’esprit et l’intelligence. Le bordel s’ajoute au bordel dans l’intérêt de la création, bien sûr !

Déjà, le patron des éditions Soleil avait engagé des filles quasi nues pour faire la danse du ventre sur ses stands et attirer le chaland, pourquoi pas cette année des dessinatrices aux seins nus ? Pourquoi ne pas ajouter une fellation à la dédicace ? Et aussi quelques cabines derrières les tables des marchands ?

Les plus âgées des bédéastes pourraient être recyclées en sous-maîtresses ? Enfin, j’aurais une chance de trouver une place dans ce festival à défaut d’y voir exposer mes œuvres trop « radicales » paraît-il. Le bordel, lui, est consensuel ! Cela s’appelle le progrès de la civilisation.

Ruppert et Mulot, les dessinateurs-macs d’occasion qui ouvrent la « maison close » en question ont recruté quelques dessinatrices consentantes qui y sont allées de leur prestation. Quelle audace mesdames ! Quel humour ! Quelle belle liberté en bas résille !!!

« Ce qu’il faut comprendre » explique doctement dans la bd un des deux recruteurs à une dessinatrice, « c’est que c’est une métaphore ce truc de maison close. » Ah bon ? Et métaphore de quoi ? Du festival lui même ? Alors il faut de la dénonciation, pas de la complaisance.

« Il ne faut pas parler de prostitution aux filles » explique le même quelques vignettes plus loin. De quoi faut-il leur parler pour les convaincre de jouer à la pute métaphoriquement ? De la libération de la femme ?

Personnellement je trouve cette maison close plutôt obscène et, entre de nombreux autres, le dessin représentant un personnage de Trondheim (et j’imagine dessiné par lui ?) me débecte particulièrement au premier, deuxième, centième degré.

Ce dessin représente un type à tête (et cervelle ?) d’oiseau devant la porte du bordel ; il s’adresse à un client du lieu en ces termes: « … Je savais que tu aimais la viande, mais de là à aller aux putes ! »

Pour l’auteur de cette image, les prostituées sont donc (à quel degré ?) moins que la viande des étals de boucherie !

J’ai déjà entendu, lu ça des milliers de fois sous la plume de gros cons, de salauds, de fachos : »les putes, c’est des bouts de viande ! » et toujours, la même colère me saisit. D’autant plus qu’en ce moment, la « crise » aidant, les femmes paient un lourd tribut au maintien de notre bonne et équitable société patriarcale et de ses intérêts dominants. Ceux de certains maquereaux d’Angoulême en font-ils partie ? On le dirait.

Bref, je trouve ce genre d’humour assez immonde (comme la bête, qui semble se réveiller), et ce à tous les degrés !

La modernité c’est le ricanement ? Je constate que décidément le rire n’est pas que le propre de l’homme, il est aussi celui des hyènes qui parfois lui ressemblent.

Pour conclure je laisse la parole à Moni, une amie, femme de théâtre, écrivain et metteur en scène :

Quelle géniale idée cette « maison close », quelle finesse symbolique !

C’est bien connu, au fond nous désirons toutes, nous les femmes, nous faire mettre par des chauves imbéciles ou sucer des bites de vieux bedonnants ridicules contre de l’argent car ce n’est même pas un travail, que du bonheur, que du plaisir ! Oui, nous rêvons toutes d’être ces bêtes de bordel, coquines, sexy, abandonnées à notre mac, notre maître. Toujours consentantes, soignées, prêtes à se plier à tous les fantasmes, jamais un mot plus haut que l’autre, jamais un mot, oui, exceptés ceux qui font bander…

Nous sommes des sous-hommes, des sorcières, des putes. Il faut nous dresser, nous battre car si on ne sait pas pourquoi, les hommes le savent… Bien que très malines, fourbes, cupides et perverses, nous avons un QI d’huître.

Quand il n’y aura plus de genre féminin sur terre, les hommes respireront, ils seront enfin libres ! Certains (des femmelettes !) nous pleureront. Nul besoin de signe distinctif pour décrire notre abomination nous la portons sur notre visage, dans notre corps, dans nos odeurs nauséabondes, notre sang cyclique, nos voix criardes, notre dégoûtante ménopause, notre cerveau étroit… Pourquoi chercher autre chose que ces douces et délicates places choisies de mères, de nymphettes, de putains ? Quel bonheur d’être les servantes de ces hommes si supérieurs, beaux, intelligents, poilus ou glabres, avec ou sans cravates.

Moni Grégo. 

La réaction de Jeanne Puchol 

À vos plumes et vos crayons !

On a marché sur la Hune, la remise du prix Artémisia 2009

Lisa Mandel et son trophée

 

Avec sa moustache et sa besace, Yves Frémion

 

Toutes ces photos sont © Marie-Jo Bonnet et ne peuvent être reproduites sans son autorisation

 

Une fois n’est pas coutume, un post tout en images réalisées par notre correspondante sur place, Marie-Jo Bonnet et par nos deux envoyées spéciales, Catherine Beaunez pour les croquis et Catherine Cazalé pour les photos. Elles ont couvert, chacune à sa façon, la soirée de la remise du prix Artémisia 2009, mardi 13 janvier, dans les murs ô combien chargés de sens de la librairie La Hune à Paris.

 

 

 

 

 

La photographe croquée par la dessinatrice

Tous ces croquis sont © Catherine Beaunez et ne peuvent être reproduits sans son autorisation

 

Lisa Mandel reçoit le trophée des mains de Johanna

 

Marie-José Cégarra remet les chèques des Espaces culturels Leclerc à Lisa et, en l’absence de Tanxxx, à Didier Borg, directeur du label KSTR

 

Marguerite Abouet

 

Au milieu, Marie Moinard

 

La main dans le buffet…

 

… pendant que Chantal Montellier parle !

 

Jeanne Puchol

 

Marie-Jo Bonnet, Chantal Montellier, Anne Bleuzen

 

 

Sylvie Fontaine, Chantal Montellier, Marguerite Abouet

 

Valérie de Saint-Do, Sylvie Fontaine, Chantal Montellier

 

Catherine Beaunez,

la dessinatrice saisie par la photographe

Toutes ces photos sont © Catherine Cazalé et ne peuvent être reproduites sans son autorisation

 

 

Oh, et puis non finalement, on ne résiste pas au plaisir de citer intégralement le discours de Johanna, notre lauréate 2008. Chargée de remettre le trophée à Lisa Mandel, Johanna, contrairement aux membres du jury Artémisia, qui avaient largement improvisé leurs interventions, a lu son texte.

 

Celui-ci nous a tellement plu que nous avons souhaité le partager avec vous :

“ Certains se posent la question.

D’autres aimeraient bien qu’on ne la leur pose plus, surtout lorsqu’elle émane du xème journaliste de bande dessinée qui veut faire un papier sur le prix Artémisia.

Et cette question, je vous le donne en mille, c’est: est-ce qu’il y a quelque chose de spécifique à la bande dessinée faite par les femmes? Est-elle différente de celle des hommes? Je vois déjà vos grimaces ironiques et grinçantes. Vous ne savez pas?

Hé bien moi, ce soir, je pense pouvoir y répondre et clore enfin définitivement ce sujet.

La réponse m’a été inspirée par l’album de Tanxxx et Mandel.

Il s’agit d’une chose subtile.

Subtile, comme la filiation entre Esthétique & Filatures et Odile et les Crocodiles [de Chantal Montellier, NDLC] dans sa critique cinglante (voire sanglante) des abus de pouvoir.

Subtile, comme la parenté entre le noir et blanc de Tanxxx et celui de Jeanne Puchol.

Subtile, comme l’espièglerie qui lie les textes de Mandel à ceux de Sylvie Fontaine et Marguerite Abouet.

Cette chose là, comment dire, c’est une chose qui tient précisément dans le fait qu’elle est dure à exprimer.

C’est un je-ne-sais-quoi qui fait la différence. C’est même LE je-ne-sais-quoi de Madame Arthur, chantée par Yvette Guilbert, qui lui permit de se faire connaître sans journaux, sans rien, sans réclame, et qui fit parler d’elle longtemps.

Et ce je-ne-sais-quoi, Lisa Mandel et Tanxxx le possèdent assurément! »

Que tous les participants et organisateurs de cette mémorable soirée soient ici remerciés, en particulier Émile Solo, de La Hune, Olivier Place, des librairies Flammarion, et last but not least, notre moderne Cosme de Médicis (dixit Yves-Marie Labé, du Monde), Michel-Édouard Leclerc, sans qui ni la dotation du prix, ni les festivités n’auraient été possibles…