Archives mensuelles : novembre 2007

Une interview sur le site BD gest

Une interview à lire sur le site de BDGest

A la mi-décembre sera rendue publique une liste de livres en compétition officielle pour le premier Prix Artémisia. Ce prix, qui sera annoncé le 9 janvier 2008, récompensera «un album scénarisé et/ou dessiné par une ou plusieurs femmes».


L’initiative en revient à l’association Artémisia, ainsi nommée en hommage àArtémisia Gentileschi, une peintre italienne du XVIIème siècle parmi les plus douées de sa génération, première femme admise à l’Académie du dessin de Florence, et qui toute sa vie dût lutter contre les préjugés sexistes de ses contemporains.

A ce jour, et bien qu’elles soient chaque année plus nombreuses, moins de 10% des auteurs de bande dessinée sont des femmes. Une telle disparité étonne d’autant plus, que le public féminin semble bel et bien présent dans les librairies spécialisées et parmi les visiteurs des festivals de bande dessinée.

 

Le jury Artémisia 2008 au complet ou presque. Photo (c) François Boudet
Dans d’autres domaines littéraires, des femmes ont voulu porter un regard féminin sur la production. Ainsi, le « Femina » est-il, comme son nom l’indique, un jury de femmes. Ce dernier, toutefois, ne s’interdit pas de récompenser des oeuvres écrites par des hommes. La démarche d’Artémisia est, sans doute, plus militante ; nous avons souhaité donner la parole à cette jeune association.

En 2007, est-il plus difficile d’être une femme plutôt qu’un homme pour exercer un métier lié à la bande dessinée ?
Artémisia : La situation des femmes dans la bande dessinée est vécue de manière très diverse par les intéressées. Il y a celles pour qui « ça marche » et celles qui rament ; celles qui se réjouissent d’espaces dédiés aux femmes auteurs – collections, festivals, prix – et celles qui s’en méfient, y voyant des ghettos. Bref, difficile de faire un constat…
Il y a peu de femmes députées, peu de femmes chef d’orchestre, compositrice, dirigeante d’une entreprise du Cac 40… Tout métier un tant soit peu lié au pouvoir – la création étant une forme de pouvoir sur les imaginaires – compte plus d’hommes que de femmes. Pourquoi ? Parce que les femmes sont des petits êtres fragiles à qui le pouvoir répugne ? Ou parce que les hommes montent la garde à l’entrée avec une grosse massue ? Après tout, Jérôme, vous qui êtes un homme, vous êtes mieux placé que nous pour répondre à cette question.

En quoi une démarche de discrimination positive, comme un prix pour récompenser une femme auteur, est-elle nécessaire aujourd’hui ?
Artémisia : Nous ne pensons pas le Prix Artémisia en termes de discrimination positive. Ce sont bien plutôt les autres prix décernés au long de l’année qu’il faudrait interroger en termes de discrimination… négative ! Pour exemple, le festival d’Angoulême, après avoir honoré quatre femmes en 2001 – Cestac présidente, ceci explique peut-être cela –, les a totalement ignorées en 2007. Or, les femmes sont, en valeur absolue, de plus en plus nombreuses – la valeur relative progresse lentement pour s’établir entre 9 et 10% de la totalité des auteurs. Les prix décernés à Angoulême et ailleurs ne reflètent pas cette évolution.

Quelles circonstances vous ont amenées à créer l’association Artémisia ? 
Artémisia : L’idée d’un prix récompensant une BD de femme est apparue lors d’un déjeuner réunissant Marie-Jo Bonnet, historienne de l’art, Chantal Montellier et Jeanne Puchol, auteurs de BD, le 30 juin 2007. Nous avons constaté que les femmes étaient sous-représentées chez les critiques et dans l’édition – beaucoup de femmes directrices de collection ici et là ne sont en fait pas décisionnaires. Et que cet espace manquant, d’un regard féminin sur la production BD, il nous suffisait de le créer au lieu de nous lamenter sur son absence. La maison d’édition l’Association ne s’est pas créée autrement : six auteurs qui n’arrivaient pas à faire publier leurs projets ont décidé de le faire eux-mêmes. C’est marrant comme on ne demande jamais à la non-mixité masculine de se justifier, alors que la non-mixité féminine, franchement, c’est louche.
Avant même de constituer le jury, nous avons contacté chacune nos relations, consœurs, amies dont nous savions qu’elles partageaient nos analyses, afin de réunir les six fondatrices de l’association – à savoir, outre les sus-mentionnées, Anne Bleuzen, rédactrice free-lance et chroniqueuse BD, Sylvie Fontaine, auteur de BD, illustratrice et peintre et Marie Moinard, éditrice des Ronds dans l’O et critique de BD. Pour le jury, que nous souhaitions un peu plus nombreux, sont venues nous rejoindre Marguerite Abouet, scénariste, Annie Pilloy, auteur de nombreux livres et articles sur les femmes et la BD, et Valérie de Saint Do, directrice de la rédaction de la revue culturelle Cassandre. Le jury ainsi composé est ouvert à des spécialistes d’autres champs que la bande dessinée ; les auteurs de BD n’y sont pas majoritaires ; plusieurs générations s’y côtoient.

Un prix, cela fait un élu, et beaucoup de déçus. Pourquoi avoir choisi ce type d’action plutôt qu’autre chose ?
Artémisia : Un prix, c’est plus facile à mettre sur pied qu’un festival (mais ça viendra peut-être…). Un prix, c’est un événement très visible. Un prix, c’est le meilleur moyen de donner un « coup de pouce » à une auteure et son travail. C’est aussi une façon de donner envie aux éditeurs de publier plus de femmes, puisqu’ils savent que, désormais, au moins une d’entre elles sera désignée chaque année.

9e art, 9 membres dans le jury, 9 janvier… Y a-t-il une raison particulière pour le choix du 9 janvier comme date de remise du prix ?
Artémisia : Bravo Jérôme, vous êtes le premier à avoir remarqué cette volontaire convergence de 9. Et en plus, le 9 janvier 2008 sera le centenaire de la naissance de Simone de Beauvoir (auteur du « 9e sexe »). Quand vous saurez que le 9 symbolise de surcroît le couronnement des efforts et l’achèvement d’une création, vous comprendrez que nous n’avons rien laissé au hasard.

Outre la remise de son prix annuel, l’association Artémisia aura t-elle d’autres activités ?
Artémisia : L’association Artémisia s’est donné comme but d’œuvrer pour la visibilité du travail des femmes dans la bande dessinée par tous moyens. Il s’agira en particulier de l’organisation d’expositions, de colloques, tables rondes ou débats. La réalisation d’un blog et d’un site internet fait partie de nos objectifs à court terme. Nous aimerions en particulier créer la première base de données consacrée sur le net aux femmes auteurs de BD, qui recenserait leurs noms et le titre de leurs œuvres depuis les pionnières jusqu’à nos jours.

Tous les dossiers sur « la bande dessinée au féminin » citent la revue Ah! Nana, victime au bout de neuf numéros d’une censure qui lui fut fatale. Mais comment expliquez-vous qu’aucune autre initiative comparable n’ait vu le jour depuis ? Envisagez-vous de lancer une revue ?
Artémisia : Il aurait fallu que cette initiative voie le jour dans les années où les revues de BD avaient encore un public : celles qui auraient pu le faire sont précisément celles qui l’ont fait et dont l’élan a été stoppé net. À partir de 1990, les disparitions successives de Pilote, (À Suivre), la durée de vie toujours plus brève des différentes tentatives de remettre sur pied un magazine BD n’ont pas formé un contexte très favorable à la création d’un magazine BD 100% femmes.

Votre communiqué de presse évitait l’emploi du mot auteur (les mots sparadrap et cerf-volant n’y étaient pas cités non plus, je vous l’accorde). Mais quelle orthographe préconisez-vous : « une auteur », ou « une auteure » (avec -e final) ?
Artémisia : Il y a deux tendances au sein d’Artémisia : il y a les « Canadiennes » qui ne jurent que par « auteure » et les « Grammairiennes » qui ne démordent pas de « femme auteur ». En fait, on est au bord du schisme, donc choisissez votre camp avec soin.

Propos recueillis en novembre 2007
Photo (c) François Boudet

Jérôme Briot

Première conférence de presse de l’association artémisia

 

Ce jeudi 8 novembre se tenait la première conférence de presse de cette association, à la librairie Goscinny, située dans le 13ème arrondissement de Paris. Etaient présentes presque tous les membres à l’exception d’Annie Pilloy, qui habite en Belgique ; à savoir : Marguerite Abouet (scénariste de la série Aya de Yopougon), Anne Bleuzen (critique littéraire et de bandes dessinées sur le site parutions.com), Marie-Jo Bonnet (historienne d’art et écrivaine), Sylvie Fontaine (auteure de CubikLe Poulet du DimancheNaïve), Marie Moinard (critique de bandes dessinées et éditrice des éditions Des ronds dans l’O), Chantal Montellier (auteure de Julie BristolSocial FictionLes damnés de NanterreTchernobyl mon amour, etc.), Jeanne Puchol (auteure de Judette CamionHaro sur la bouchère !, etc.), et enfin Valérie de Saint-Do (directrice adjointe de la revue Cassandre/Horschamp).

 

Première constatation : les journalistes ne s’étaient pas déplacés en masse, ce qui est bien dommage. À croire que la cause n’est pas assez importante, ou que le vernissage autour du dernier album de Loisel l’était davantage…

 

 

Après un tour de table présentant les membres de l’association, Jeanne Puchol entra dans le vif du sujet en nous parlant du choix porté sur le nom d’Artémisia : Artémisia Gentileschi était une artiste-peintre italienne du XVIIe siècle et une femme libre. Marie-Jo Bonnet a ensuite expliqué le célèbre tableau de Gentileschi, Judith et Holopherne, comme le tableau d’une NAISSANCE. Elle a rappelé également que Chantal Montellier avait réalisé une bande dessinée autour de ce personnage dans le tome 2 de Julie Bristol, le premier tome étant consacré à Camille Claudel

 

Vinrent ensuite des considérations – à la base de la création de l’association – sur la faible place faite aux femmes et le peu de reconnaissance de leurs œuvres dans le métier de la bande dessinée. Marie Moinard a expliqué que si les auteures de bandes dessinées étaient très présentes sur internet à travers les blogs, ce n’était pas le cas dans le monde de l’édition professionnelle, et qu’elle recevait très peu d’offres de la part d’auteures femmes en tant qu’éditrice. Cette année, il n’y aurait eu en effet qu’autour de 6,5 % de création féminine (dessinatrices ou scénaristes) parmi l’ensemble des bandes dessinées nouvelles parues. Marie-Jo Bonnet défendait l’idée de l’utilité d’un autre regard, celui des femmes, sur le monde. Chantal Montellier a parlé du rapport de pouvoir existant face à l’imaginaire masculin dominant et de l’ « interdit » fait aux femmes. Sylvie Fontaine a parlé du rapport au corps et du « rôle » de procréation de la femme. Le rôle répressif de la religion n’était pas absent non plus de la discussion.

 

 

 

De gauche à droite : Sylvie Fontaine, Marguerite Abouet, Jeanne Puchol, Marie Moinard, Anne Bleuzen, Chantal Montellier, Valérie de Saint-Do, Marie-Jo Bonnet

 

Tous ces éléments amenant donc à l’idée de créer un prix spécifique pour mettre en valeur le travail d’auteures féminines. Pour confirmer le poids de ce prix, Marguerite Abouet a raconté son expérience personnelle : la satisfaction et l’encouragement que peut représenter un prix lorsqu’elle a reçu celui du Premier album à Angoulême pour Aya de Yopougon en 2006.

L’association a expliqué par ailleurs qu’elle souhaitait aller au-delà de la création du prix « Artémisia » (un grand nombre d’éditeurs ont d’ailleurs bien compris l’intérêt et l’importance de ce prix car ils ont envoyé des titres pouvant concourir), en se fixant pour objectif de développer un pôle de ressources afin de combler des lacunes et pouvoir ainsi répondre aux questions statistiques ou de mémoire concernant la création féminine d’œuvres de bande dessinée, mais également de lancer des débats, d’organiser des conférences, des colloques. Un travail de promotion de la bande dessinée féminine qui commence par un travail de connaissance de celle-ci (son histoire, ses auteures, etc.)

 

Après un échange d’idées avec le public, peu nombreux mais intéressé (avec notamment les interventions de Johanna Schipper ou encore de Christian Marmonnier, la rencontre s’est terminée vers 19 heures autour de quelques boissons et d’une restauration légère. L’ambiance était chaleureuse et dans un cadre agréable.

 

Nous suivrons avec attention la suite des évènements, pour dans un premier temps la remise d’un prix « Artémisia », avec la sélection d’ouvrages le 10 décembre, puis l’annonce du résultat le 9 janvier prochain, date anniversaire de la naissance de Simone de Beauvoir.

 

Compte rendu de François Boudet pour Actuabd.com

 

Photo centrale (c) François Boudet

La création du prix artémisia

 Communiqué de presse

La bande dessinée au féminin bientôt honorée par un nouveau prix

Pourquoi un prix Artémisia de la BD ?

 Parce que la création BD au féminin nous semble peu connue et reconnue, peu valorisée et éclairée, quelques arbres surexposés cachant la forêt des talents laissés dans l’ombre ou à l’abandon.

Parce qu’un regard féminin sur la production BD nous paraît essentiel.

Parce que se donner le pouvoir de reconnaître et non pas seulement de produire est un enjeu et un symbole des plus importants pour les femmes qui participent à cette aventure.

Parce que la BD destinée à tous et largement diffusée, reste un média dominé par l’imaginaire masculin, qui véhicule des stéréotypes écrasants.

Parce que les jurys, notamment pour les présélections (cf. Angoulême), sont généralement composés des seuls représentants du sexe dit fort.

Parce qu’il n’y a pas de raison pour que seule la littérature avec son prix Fémina, et le cinéma avec son festival de Créteil, aient droit à des espaces de légitimation et de reconnaissance au féminin.

C’est pour toutes ces raisons (et quelques déraisons) que nous souhaitons créer un prix qui distinguera un album scénarisé et/ou dessiné par une ou plusieurs femmes. Il sera décerné chaque année le 9 janvier.

 Pourquoi le prix Artémisia ? Le personnage et le destin de la grande artiste italienne du XVIIe siècle, Artémisia Gentileschi, symbolisent à eux seuls ceux de la femme artiste (plasticienne) dans nos sociétés patriarcales, par-delà les temps et les régimes. Il nous a semblé utile et juste de rattacher ce prix qui honore l’image narrative féminine, à l’histoire plus large, plus riche et plus explorée de la création graphique au féminin. Ceci afin de ne pas risquer de nous retrouver enfermées nous-mêmes dans nos propres phylactères.

Vous êtes chaleureusement convié(e) à la conférence de presse qui aura lieu

le 8 novembre 2007 à 17 heures à la Librairie Goscinny – 5 bis, rue René Goscinny – 75013 Paris

 

 

Les membres du prix Artémisia BD :

 

Marguerite Abouet, Anne Bleuzen, Marie-Jo Bonnet, Sylvie Fontaine, Marie Moinard, Chantal Montellier, Annie Pilloy, Jeanne Puchol, Valérie de Saint-Do.

Contact par mail : assoartemisia@gmail.com ou par courrier à Association Artémisia – 8 place Rhin et Danube – 75019 Paris